Et voila, j'y étais. Mes yeux délavés parcoururent lentement le paysage qui s'étendait en contrebas, tel un jeu de miniatures. D'ici je voyais distinctement tout, les structures des bipèdes, le canal qui traversait le territoire du clan de la Rivière, le grand chemin du Tonnerre qui serpentait, et les monstres qui l'empruntaient.
Je frissonai sous la brise naissante, mon poil fin ne me protégeant que peu. Encore quelques pas, et je serais au bord du précipice, au bord de la mort. Je les franchis prudemment, tâchant de ne pas glisser. J'avais décidé de choisir l'heure de ma mort.
Je m'assis, faisant dévaler quelques cailloux coincés sous mes pattes. Mes coussinets, irrités par le sol dur, et craquelés par le vent sec, se mirent doucement à saigner. La vue de ce liquide pourpre sur le paysage gris et vert me fit penser à la découverte de ma soeur. Morte.
A cette pensée mon coeur se serra de tristesse. Il fallait que je la retrouve. Il le fallait. Je l'avais déjà perdue une fois. Il ne fallait pas que ça se reproduise.
Et pour la retrouver, il fallait que je saute. Mes prunelles blanches revinrent se poser sur le roc acéré en contrebas. Il allait me donner la mort, c'était ce que je lui demandait.
Ca y était, je le sentais. C'était le Moment. Je l'avais attendu, j'y avais beaucoup pensé, et m'étais dit que personne n'allait beaucoup me regrette dans ce bas monde. Oh, j'allais peut être manquer un peu à ma chef, car je l'aidais efficacement à organiser le clan et les patrouilles ... et aussi peut être à Goutte de Miel. Lui, je l'avais sauvé, et il le méritais. Peut être que j'aurais pu l'aimer, si ma soeur ne m'avais pas retrouvée ... mais elle l'avait fait. Et maintenant je ne pouvais donner d'amour qu'à elle, car elle était mon sang, et j'étais le sien. Déparées, nous n'étions que moitiés, c'est ensemble que nous devions être.
Mes muscles se bandèrent. Je m'aplatis au sol, préparant mon dernier geste, ma dernière pensée. Et je sautai.
Mes pattes ne rencontrèrent que l'air, pendant une fraction de seconde. Puis, je la sentis, la douleur du roc acéré pénétrant dans ma chair. Mon supplice n'allait pas durer longtemps, m'étais-dit. J'avais eu raison. Ma tête se fracassa sur la falaise, et je mourus.
Je n'avais plus de corps. Plus de sens non plus. Je ne savais même plus si j'Etais. Mais c'est alors que mes yeux trop clairs rencontrèrent leurs égaux. Et alors la paix étreignit mon âme.